ANONYMAT INDIRECT

L’anonymat se présente sous différentes formes, certaines évidentes telles que le port d’un masque ou l’utilisation d’un nom d’emprunt, d’une fausse identité ou bien d’un pseudonyme.

D’autres types de comportements, de modes de fonctionnement, d’organisations ou de présentations peuvent s’apparenter à une posture anonyme.

Ces agissements apparaissent comme un anonymat que l’on pourrait qualifier d’indirect ou de non visible.

Indirect car, en réalité, il n’est pas la première idée qui vient à l’esprit de celui qui en fait l’expérience.

Communiquer avec un interlocuteur masqué ou dissimulé met immédiatement en lumière son comportement et la manière dont il souhaite se présenter, l’anonymat est ainsi clairement affiché, c’est un acte volontaire direct pour dire : « bonjour, je communique avec vous de manière anonyme, ma véritable identité ne vous sera pas communiquée ».

C’est la manière choisie par les anons pour exister et communiquer, que cela soit sur le net, ou bien IRL (dans la vrai vie) lors des manifestations ou des actions contre la scientologie ou plus récemment la lutte contre ACTA, par exemple.

 

Mais revenons à notre anonymat indirect et réfléchissons quelques instants à toutes les situations que nous avons pu connaitre et où notre interlocuteur ne s’est pas présenté sous sa véritable identité ?

Les exemples vous viennent ? Ils se multiplient ?

Cette simple et rapide réflexion éclaire très rapidement la situation.

L’anonymat tant décrié est en réalité utilisé dans de nombreuses circonstances, et principalement par des organisations très structurées, y compris les grands corps de l’État.

Essayez par exemple d’obtenir le nom de votre interlocuteur lorsque vous appelez votre caisse de sécurité sociale, il est fort peu probable que vous obteniez une quelconque information vous permettant de rappeler votre correspondant en cas de problème ou de demande complémentaire, par exemple.

Comment qualifier dès lors cette manière de procéder si ce n’est de l’anonymat ? Votre interlocuteur peut vous dire tout et n’importe quoi, vous ne pourrez vraisemblablement jamais le retrouver.

« Je ne suis pas un numéro »… et si ! « Je suis un homme libre », rien n’est moins sûr… La situation de Patrick Mc Goohan dans la série « Le prisonnier » est encore aujourd’hui tristement d’actualité ! Nombreux sont les serviteurs de l’Etat qui agissent exclusivement de manière anonyme, cachés derrière un numéro ou n’importe quel autre matricule.

Les finalités de ces pratiques sont toujours les mêmes, ne pas dévoiler au public la véritable identité des agents de l’Etat afin de protéger leur vie privée, et de ne pas les mettre en pâture à d’éventuelles représailles d’un citoyen insatisfait ou animé par des sentiments potentiellement dangereux ou du moins agressif.

Quelle est finalement la différence avec l’anonymat des anons ? Aucune en réalité, dans les deux cas, l’anonymat est une décision réfléchie, pesée et décidée dans le cadre de situations bien précises, où l’on estime que d’une part, la connaissance de l’identité de l’interlocuteur n’apporte rien de plus à la relation, et que d’autre part, l’anonymat est un gage de sécurité et de protection de l’individu et de sa vie privée.

 

Les exemples dans l’administration sont nombreux, les forces de sécurité revendiquent toutes l’anonymat de leurs personnels, du moins dans l’exercice de leur fonction. La police est anonyme, les procès-verbaux ne sont jamais rédigés par monsieur LAGENT mais par le matricule 1234. Les militaires procèdent eux aussi de cette manière, mais uniquement lorsqu’ils sont en opération. Tout nom disparait pour laisser place à un matricule ou une plaque d’identification. Les velcros nominatifs collés aux treillis sont soigneusement décollés avant toute mission opérationnelle. La Légion Etrangère va encore beaucoup plus loin dans la démarche. Dès leur engagement, les futurs légionnaires rangent au placard leur véritable nom pour devenir quelqu’un d’autre, on oublie ainsi le passé et ses éventuels égarements. Dans tous les cas, cela fédère l’organisation, renforce le sentiment d’appartenance, tout en développant un sentiment d’égalité et de fraternité. Il s’agit là sans doute davantage de changer de vie, de tourner une page plutôt que de dissimuler sa véritable existence. En ce sens, cette pratique n’est donc pas réellement assimilable à l’anonymat en tant que moyen de protection.

 

En élargissant ainsi la réflexion, beaucoup d’actes, de manières de faire, de comportements frôlent plus ou moins les contours de l’anonymat.

Ne peut-on considérer déjà que toute action visant à limiter le champ individuel au profit d’un champ plus collectif revient à tangenter les critères de l’anonymat ?

Le port de toute forme d’uniforme, qu’il soit militaire ou civil, a pour objet le nivellement des différences, donc le droit à une existence propre, clairement identifiable par un code vestimentaire ou comportemental par exemple. Chacun appréciera selon ses idées la valeur des uniformes civils, costume-cravate, uniformes d’écoliers ou tout simplement la mode…

Pour être totalement provocateur, on pourrait même avancer l’argument que l’égalité elle-même limite le droit à la différence puisqu’elle tend à aplanir les différences ! Liberté ou égalité ? Les deux ne sont-elles pas d’une certaine manière incompatible ?

Éloignons-nous du débat philosophique entre liberté et égalité (quoique…) pour revenir sur un dernier exemple contemporain et bien concret de l’anonymat : le CV anonyme.

Le constat est sans appel, un employeur qui recrute doit faire un choix, donc discriminer. Certains critères par contre ne doivent pas, ne peuvent pas être pris en compte pour choisir l’un ou l’autre des candidats. Il s’agit du sexe, de l’âge, de la nationalité ou de l’origine, de l’adresse, ou de tout autre critère non strictement professionnel. La loi pour l’égalité des chances de 2006 a partiellement réglé le problème en imposant l’usage du CV anonyme.

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