Les Kratos

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Quand il est question de définir la netocratie, certains feront un rapprochement entre Aristocratie et Net, d’autres avec Démocratie et Net. Mais dans les deux cas, on passe à côté du plus important, du plus déterminant et du plus signifiant: le « Cratie » qui vient du grec ancien Kratos.

    Le kratos c’est le « pouvoir destructeur », « l’autorité dominatrice». C’est une idée qu’on retrouve déjà dans l’épopée homérique : celui qui a le kratos est le dominant, en capacité de détruire son adversaire. Entre certaines mains, le kratos est la force destructrice du guerrier, ce qui peut vite devenir un excès (l’excès chez les Grecs, l’hubris, est la plus grande des fautes).

    Aristocratie signifie « le pouvoir aux meilleurs » ; technocratie « le pouvoir aux experts » ; bureaucratie « le pouvoir aux administrations », etc… Dans la même idée, démocratie signifie « le pouvoir au peuple ». Le kratos démocratique est un kratos différent de tous les autres, car là où les bureaucraties, les technocraties, les aristocraties et autres sont des kratos minoritaires (le pouvoir appartient à un petit nombre), le kratos de la démocratie est majoritaire (il appartient au plus grand nombre). L’idée démocratique consiste à limiter le kratos destructeur en laissant la population entière prendre part aux décisions, via des votes de représentants, ou des référendums par exemple. Autrement dit, la démocratie est un rempart contre l’appropriation des pouvoirs par un petit nombre, elle empêche les aspirants dominants d’arriver à leurs fins, et, en théorie, elle empêche qu’une idéologie fasse empire sur toutes les autres. Bien sûr, nos démocraties actuelles sont écrasées par des pouvoirs autoproclamés supérieurs tels que la bureaucratie excessive et la technocratie excessive (nous pensons surtout aux grands prêtres économistes), pour ne citer qu’eux, sans oublier des vieilles mœurs totalisantes qui viennent encore plus court-circuiter ces rouages. On pourrait même dire que la démocratie n’a jamais été vraiment réalisée à cause de ces kratos parallèles qui empêchent l’établissement d’un équilibre favorable à tous. Car là est le cœur même de l’idée démocratique : l’équilibre entre les différentes forces.

    La netocratie c’est « le pouvoir au Net ». Par Net, nous n’entendons pas les internautes, comme cela est bien souvent compris par les pro-netocrates, nous entendons plutôt les dominants du Net (comme Google, Facebook, et les gros réseaux qui font la pluie et le beau temps sur la toile), c’est-à-dire ceux qui arrivent à maîtriser et à manipuler l’information pour l’exploiter ou l’imploiter ( = la conserver pour soi et son réseau uniquement). Avec la netocratie, on tombe encore une fois dans un kratos à disposition d’un petit nombre, un petit nombre qui se distingue selon des compétences. En gros, les meilleurs du Net sont les netocrates (« le pouvoir aux meilleurs », ça ne vous rappelle rien ?). La netocratie, comme nouvelle sphère dominante, est incompatible avec la démocratie, tout autant que l’aristocratie est incompatible avec la démocratie.

    Avec le nouveau paradigme informationnaliste, les sphères d’influence se déplacent, mais persistent dans le cadre de l’élitisme, et des privilèges, non pas cette fois par et pour l’argent, mais par et pour l’information. Les paradigmes, les fictions, et les classes changent, mais les rapports et les relations sont tout aussi violents et agressifs que dans l’ancien système, si ce n’est plus.

    Un kratos sans rempart, détenue par une élite qui se prétend supérieure, une nouvelle sphère d’influence qui proclame l’idéologie de la transparence et de l’information (informations manipulées, exploitées ou imploitées), voilà qui aurait de quoi faire grincer les dents de très nombreux anons et autres hacktivistes.

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