La liberté, le réseau social et la vie privée

spotted

Facebook est sans doute une invention qui marquera le XXIe siècle, que l’on soit pour ou contre, c’est indéniable.

Vous connaissez tous, sans doute, les problèmes engendrés pour la vie privée, nous n’allons donc pas les rappeler. Mais une nouvelle tendance facebookienne – permettez le néologisme – tend à augmenter l’exposition tout public de la vie privée des membres et des non-membres.

Peut-être avez-vous entendu parler de la mode des pages spotted ? Importé des États-Unis, et inspiré de Gossip girl (ne demandez pas si c’est le livre ou la série télévisée, parce que de notre côté on s’en tamponne le coquillard avec de la soie dentelée du Chili), le concept est de créer une page Facebook publique pour un lieu – établissement scolaire ou universitaire, lieu de travail, fast food, ligne de métro et de bus – permettant de retrouver le nom d’une personne sur qui vous avez flashé. Une sorte de crieur de rue en moins romantique. L’envoi d’un message privé au gestionnaire de la page, et votre message sera anonymement publié.

Lorsque ce sujet a été soumis à la rédaction de VoX, la division régnait. Certains ni voyaient qu’un élément mineur dont le risque pour la vie privée était limité par rapport au reste de Facebook – les naïfs rêveurs, et je dis ça plus volontiers que je j’étais plutôt dans ce camp. Les autres, plus désabusés, voyaient déjà les possibles dérives de ce système – la suite leur donnera raison. Le sujet une fois validé, je me mets à écrire le papier. Ne trouvant toujours pas d’accroche sur le sujet, je décide donc de regarder une fois de plus Fear and loathing in Las Vegas (Las Vegas parano) ce qui me motive pour enfiler mes bottes de journaliste gonzo.

Le choix étant fait, je choisis aléatoirement des pages spotted – qui sont publiques, et donc accessibles sans compte Facebook – et d’observer ce microcosme pour en tirer une conclusion. Et ladite conclusion est sans appel. Sans parler de la transformation en produit de consommation du partenaire amoureux – puisque certains messages peuvent se traduire par « Je veux coucher avec toi parce que tu es joli(e) » – ni du niveau orthographique déplorable qui donnerait une crise cardiaque à un membre de l’Académie Française – certes vu l’âge la tâche n’est pas ardue, mais est-ce une raison pour ne pas s’appliquer ? – on constate une exposition forte de la vie privée des personnes postant sur ces pages, ou même de celles étrangères à Facebook.

En effet, sur spotted, vos amis peuvent vous reconnaître, et même si vous avez le bon goût de ne pas étaler votre insipide vie privée sur le réseau social, eux pourront confirmer que le beau brun à lunettes aux MacDo du coin repéré à 4 h 20 était bien Kévin Dupond, mais que ça ne sert à rien de continuer parce qu’il est en couple avec Vanessa Dupont. Niveau vie privée, c’est moyen… Certes l’information sur votre présence dans un lieu public n’est pas une atteinte légale à votre vie privée, mais divulguer au public le partenaire amoureux peut être constitutif d’une violation de vie privée, qui est civilement et pénalement réprimée.

Mais je vous entends déjà conspuer. « L’exemple est caricatural », ou encore « les spotted ne vont pas aussi loin que ça ». Que nenni ! Je prends alors exemple dans les pages que j’ai observées d’un œil distrait pendant une semaine. Ainsi, j’ai pu apprendre qu’un jeune homme était en couple avec un homme de 48 ans, père d’une de ses amies. Ou encore qu’un militaire de la Légion étrangère voulait partir au Mali, et que plusieurs de ses admiratrices se pâmant devant le bellâtre sanguinaire écervelé (« Celui qui est capable de marcher derrière une musique militaire n’a pas besoin de cerveau : une moelle épinière lui suffit » Albert Einstein) lui demandent de reconsidérer sa décision.

Alors, certes, ces informations, la plupart des gens s’en moquent. Mais pensez : ces informations sont publiques ! Tout le monde connaît maintenant les déboires amoureux des uns, les préférences sexuelles des autres. La vie privée est exposée, publiée, mise à nue, sans l’accord des personnes. Et tout le monde peut se retrouver ainsi exposé, même les rares personnes à ne pas avoir de compte Facebook.

Prenez garde, ainsi, que votre anonymat ne soit pas réduit à néant, et que votre vie privée, réduite à peau de chagrin, ne se change pas en exposition ouverte au public !

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