Chroniques de la censure II

…ou l’incitation à l’illégalité que peut avoir la limitation et le filtrage d’une connexion internet…

filtrage

Il est de plus en plus fréquent que les connexions Internet fournies gratuitement par un employeur, un établissement d’hébergement, ou encore une commune (voir, par exemple, les points de WiFi gratuit dans certains parcs parisiens) soient filtrées. Par exemple, le CROUS (Centre Régional des Oeuvres Universitaires et Sociales, établissement public gèrant les cités universitaires) fournit à ses locataires des connexions WiFi ou câble gratuites ou faiblement payantes (1 € par mois), mais qui voient certains ports bloqués pour empêcher les meuporgs ou les torrents. On trouve aussi un blocage de certains sites Internet, notamment les sites pornographiques et ceux proposant un contenu potentiellement illégal. Ce blocage est hautement critiquable, tant sur ses fondements que sur sa mise en œuvre, mais ce n’est pas l’objet de cette chronique.

Le but est ici de montrer les conséquences paradoxales de ce type de blocage sur l’utilisateur. En effet, il y a deux sortes d’utilisateurs du réseau, ceux qui connaissent bien l’Internet et les autres. Les autres, face à une telle limitation, se lamentent, et restent exclus du monde de la culture. Spencer serait fier de ce darwinisme social à l’état pur excluant les personnes n’ayant pas les connaissances nécessaires.

Mais les utilisateurs aguerris, les vieux roublards du net, même ceux qui sont un tant soit peu démerdes, passent outre ces blocages, avec des proxies, des seedbox et autres. Dans cette configuration, on a déjà un premier paradoxe : une pénalisation des utilisateurs les moins bons, et un accroissement de connaissances – aussi bien techniques que culturelles – des utilisateurs débrouillards.

Mais ce n’ est pas tout. Le but de ces censures, qui sont plus exactement des limitations, sont d’empêcher les utilisations illégales du réseau. Mais là où les utilisateurs se seraient sans doute contentés de quelques films, quelques séries TV ou quelques albums, le passage par ces voies détournées leur confère une capacité de téléchargement accrue. Que ce soit avec une seedbox, dont les plus petites offrent des dizaines de Go de stockage, ce qui incite à télécharger plus, ou que ce soit avec un proxy ou un VPN, qui va offrir un débit plus élevé vers le téléchargement illégal.

Il faut aussi considérer l’ aspect psychologique. Le fait qu’ il y ait une limitation entraîne à réussir à passer outre, rien que pour le challenge. Et c’est là qu’on aboutit à la contradiction, au paradoxe ultime, à partir de deux exemples précis mais qui peuvent facilement se généraliser. Prenons donc l’ exemple des connexions des cités universitaires, qui est particulièrement parlant. Au niveau du contenu, les sites pornographiques sont bloqués. La meilleure façon de contourner est alors de passer par tor… qui ouvre de ce fait la voie aux sites pornos en .onion, ce qui est franchement moins légal que les sites plus traditionnels (nous ne tomberons pas dans le jeu de leur énumération, même si on se doute que ça vous ferait plaisir !). Et pour tout ce qui concerne le jeu vidéo, on est dans la farce pure et simple : la meilleure méthode pour jouer… est d’utiliser des versions illégales des jeux. Car le réseau des cités universitaires du CROUS bloque les connexions des jeux à leur site de vérification des DRM, donc un jeu légalement acheté est injouable. Et c’ est pareil pour steam. On peut donc se retrouver obligé de télécharger illégalement certains jeux indie pour pouvoir simplement y jouer juste parce que la plate-forme de téléchargement légale est bloquée. Il y a fort à parier qu’il en va de même pour la VOD (mais qui paie 4 € pour voir un film en VOD sérieusement ?) Pour l’anecdote : à une époque le CROUS bloquait toute connexion d’un logiciel autre qu’un navigateur internet. Donc les étudiants sont restés sans antivirus pendant un an, jusqu’à ce qu’un administrateur réseau plus compétent arrive.

Ces simples exemples nous montrent donc une chose, qui est généralisable : plus un réseau sera censuré ou limité, plus certaines personnes trouveront des parades qui leur ouvriront un champ plus large au contenu qui leur était bloqué. On pourrait s’en réjouir. Mais ce faisant, on limite l’accès aux seules personnes compétentes en informatique, poussant aussi à l’illégalité et à l’illégitimité. Il serait donc plus simple, censeurs, que vous avouiez votre défaite. Que vous laissiez l’Internet et les autres réseaux libres. Sinon, nous trouverons des chemins de traverse, en risquant de causer du tort à d’autres personnes, torts qui resteront à jamais ancrés en vous, comme le sang de Duncan sur les mains de Lady Macbeth.

Et nous vengerons ceux qui subissent, ceux qui ne connaissent pas, ceux qui n’ont pas de maîtrise du réseau, en rendant ce dernier libre et ouvert à tous — ce qu’il n’aurait jamais du cesser d’ être !

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