Outils d’interprétation et d’analyse

VoX5-netocrates-Fictions

Les auteurs font le constat d’un défaut croissant de vue d’ensemble sur notre monde, notre société. Tout est devenu particulièrement complexe, nous sommes inondés d’informations parfois contradictoires sur le moindre des détails. Cherchez ne serait-ce que la « bonne façon » de cuire des pâtes et vous vous verrez inonder d’avis, de conseils tous différents, peut être même que vous assisterez à des combats internes entre les utilisateurs d’huile ou de beurre. Alors comprendre la société, la façon dont elle roule ou ne roule pas, déceler les vrais pouvoirs, l’important ou le futile, la réalité ou le mensonge peut s’avérer une rude tâche, ou chaque pouvoir (médias compris) pourra vous renvoyer à son modèle interprétatif, contradictoire à l’autre et, au final, bon nombre seront perdus. Ou manipulés.

Les auteurs vont donc nous offrir avec Les Netocrates un outil d’interprétation et d’analyse du monde clair et relativement simple qui permet de saisir les problématiques, les pouvoirs en place et la façon dont tout cela s’agence. Cet outil, d’abord utilisé pour voir la façon dont s’est déroulé le passé puis notre présent s’attellera à être appliqué à un futur probable.

Paradigme

« Un paradigme est une représentation du monde, une manière de voir les choses, un modèle cohérent de vision du monde qui repose sur une base définie (matrice disciplinaire, modèle théorique ou courant de pensée). C’est une forme de rail de la pensée dont les lois ne doivent pas être confondues avec celles d’un autre paradigme et qui, le cas échéant, peuvent aussi faire obstacle à l’introduction de nouvelles solutions mieux adaptées. »[definition wikipédia]

Un exemple simple de paradigme : Dieu et la religion du temps féodal. Ce « paradigme » définissait quelles pensées pouvaient être pensées (impossible d’envisager au moyen âge que le roi puisse être un imposteur, car c’est Dieu qui lui a donné son pouvoir ; Dieu ne peut qu’exister, donc le roi est forcément légitime), il représente l’ensemble des préjugés et des valeurs (ceux qui ne croient pas en Dieu sont donc des barbares) et il est dans une logique exclusive : deux paradigmes ne peuvent pas coexister chez un même individu (on ne peut pas croire en Dieu, et ne pas croire en Dieu).

Fiction

Les auteurs constatent donc que l’homme a cette tendance à s’inventer des modèles simplifiés (des fictions, pour reprendre l’exemple du temps féodal, la fiction étant Dieu) sur la façon dont le monde fonctionne et qui sont en étroite relation avec le paradigme du moment. Ce point fictif est l’ensemble des présupposés de base sur la structure de l’existence, une façon de voir le monde, généralement acceptée et dès lors socialement fonctionnelle (tout le monde se devait d’aller à la messe, l’inverse aurait été extrêmement choquant). Ce point permet de nous guider dans notre vie, de nous focaliser sur ce qui se passe.

VoX5-Netocrates-point-fictifCe point fictif est déterminant, car autour de lui se fixeront les structures de pouvoir qui utiliseront la fiction à son intérêt pour dominer autrui. Évidemment, la fiction n’est jamais décrite en tant que telle et les pouvoirs (pas seulement ceux des classes dirigeantes) ont mobilisé de grandes ressources pour rendre réel ce point fictif et pour le faire accéder au statut de vérité éternelle.

Pour vous donner une image concrète de cette notion de point fictif essentiel pour comprendre Les Netocrates, reprenons depuis le départ l’exemple de la fiction féodale : Dieu. Dieu était ce point fictif utilisé par l’Eglise, la monarchie et l’aristocratie pour justifier ses pouvoirs, ses privilèges, ses lois. Le paradigme et sa fiction centrale, Dieu, dictaient sa loi aux travers des structures de pouvoir. Les paysans devaient craindre Dieu, ses représentants, car l’enfer les guettaient au moindre écart de conduite, à la moindre insoumission susceptible d’être perçue comme l’œuvre du démon. La question de Dieu ne se posait pas, les structures de pouvoir imposaient Dieu, car c’était cette fiction qui leur procurait du pouvoir. Dieu devait être une vérité éternelle non pas parce qu’ils pensaient que c’était la vérité, qu’ils avaient foi en lui, mais parce que c’était la source de leurs privilèges, de leurs acquis, de leurs pouvoirs. A contrario, les paysans subissaient le paradigme et la fiction Dieu sans rien pouvoir entrevoir d’autres, car évidemment, tout était fait pour qu’ils ne sortent pas de ce paradigme.

Changement de paradigme

VoX5-netocrates-chgm-paradigmeMais comment passer d’un paradigme à un autre ? Comment la féodalité a finalement oublié Dieu (ou l’a écarté), comment le capitalisme a pris sa place ? Comment la vie, la façon de penser a pu radicalement changer au point d’abandonner les rois, les trônes, les apparats aristocrates ? Comment la fiction Dieu a  finalement été évincée des structures de pouvoir ?

Passer d’un paradigme à un autre ne signifie pas s’informer, apprendre plus de nouvelles choses, ajouter plus de nouveaux faits, cela signifie plutôt que les nouveaux et anciens faits s’éclairent d’une lumière nouvelle, ce qui change radicalement notre façon de voir le monde.

Un changement de paradigme se produit quand la constante fictive se déplace et subit une redéfinition. La fiction est l’épicentre du monde et quand elle se met en branle, qu’elle est remise en cause, elle fait l’effet d’un tremblement de terre et toutes les structures existantes sont bouleversées, renversées, métamorphosées. L’acceptation d’un nouveau paradigme ne laisse pratiquement aucune place à l’ancien, le monde est radicalement perçu de manière différente, tout paraît nouveau et laisse entrevoir une nouvelle façon de vivre, avec de nouvelles possibilités.

La fiction et son paradigme sont renversés/transformés lorsque l’accès aux informations change. Cet accès détermine le champ des pensées, des actions possibles. Et l’accès aux informations change quand une nouvelle technologie le permet : cela a été le cas avec l’écriture, l’imprimerie et ce sera le cas avec Internet. Par exemple, l’imprimerie a permis de diffuser les informations, informations qui ont nourri et inspiré les inventeurs, inventeurs qui ont donc inventé, innové encore plus. De nombreuses découvertes et recherches ont alors permis d’entrevoir une nouvelle façon d’appréhender le monde et de vivre différemment. La conséquence est donc l’amorçage d’un nouveau paradigme qui brise la fiction initiale. Une autre fiction s’affirme, avec sa constellation de nouvelles structures de pouvoir, de nouvelles élites…. Fiction qui se fera encore passer pour vérité universelle.

Les auteurs précisent qu’ils ne sont pas dans le jugement. Il n’est pas question de savoir si ces fictions, la façon dont elles ont été utilisées sont bonnes ou mauvaises. Ils constatent, tout simplement, ils se servent de cet outil d’interprétation du monde (ce concept de fiction)  pour comprendre les faits actuels, les structures complexes, et envisager comment pourrait se présenter le futur.

Le résultat de cette réflexion est très surprenant et vous pourrez sentir ce choc du changement de paradigme qui donne à observer le monde différemment. Qu’il soit « vrai », « bon », « faux » ou « mauvais » n’est pas important, ce qui compte c’est son effet concret sur la perception du monde actuel, l’ouverture d’esprit qu’il peut provoquer pour peu qu’on ne s’enferme pas coûte que coûte aux vieilles façons de penser.
Alors oui, vous pourrez être choqués. Acceptez le choc en vous, laissez vous bouleverser un instant. Le chamboulement des idées préconçues que nous avons tous porte toujours ses fruits.

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